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La protection pénale de l'enfant à naître Yannick JOSEPH-RATINEAU , Jurisfac.org (www.jurisfac.org), (c) Tous droits réservés (merci de nous dénoncer toute utilisation commerciale de ce document).

Il peut de prime abord paraître curieux de vouloir aborder un sujet aussi banale que celui de la protection de l’enfant à naître. En effet, on apprend à tout bon juriste que l’article 16 du Code civil dispose que «  la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à sa dignité, et protège l’être humain dès le commencement de sa vie. » Si l’on devait se contenter des dispositions de l’article 16, il y aurait tout lieu de croire que l’enfant à naître, qui n’est point une personne, mais simplement un être humain bénéficie d’une protection. Il suffit pourtant d’observer les décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation pour s’apercevoir qu’en 2004, en France, pays des droits de l’homme et du droit à la vie, la vie d’un embryon n’a aucune valeur sur le plan pénal … Triste constat, accablante réalité, il suffit de lire l’arrêt du 25 juin 2002, ou encore de lire la consternante décision du 3 décembre 2003 au travers de laquelle le droit français se couvre d’un ridicule rarement égalé …

La Cour de cassation, dont pour une fois nous n’auront pas à critiquer le manque de motivation de ces décisions, s’appuie sur le principe fondamental du droit pénal français pour justifier ses décisions : le principe de la légalité des peines et des délits posé aux articles 111-2 et 111-3 du Code pénal de 1994. Néanmoins, d’autres plaignants, plus rusés, face aux décisions de la Cour de cassation ont abordé le problème sous un autre angle, celui de l’interprétation de l’article 221-6 du Code pénal. Là encore, la Cour de cassation rejette le pourvoi en s’appuyant sur un autre principe fondamental : le principe d’interprétation stricte de la loi pénale prévu à l’article 111-4 du Code pénal. Devrait-on en déduire que seul une réforme législative sur le sujet pourrait permettre de pouvoir condamner l’auteur d’un homicide involontaire sur un embryon ? Si l’on en croit certains auteurs de doctrine, il n’appartient pas au juge de s’ériger en jurislateur. A contrario, selon d’autres auteurs de doctrine, comme Jean Pradel, il appartient au juge de donner tout son sens au texte pénal qu’il applique et l’article 221-6 du Code pénal permettrait de protéger la vie de l’embryon pénalement.


I - Le fondement des décisions de la Cour de cassation en la matière


La Cour de cassation a fondé ses décisions sur le principe de la légalité des peines et des délits pour rejeter le pourvoi des plaignants. Dans un second temps, l’argumentation des plaignants ayant changé, la Cour de cassation a fondé ses décisions sur le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Nous allons donc tenter de comprendre les conséquences de l’application du principe de légalité des peines et des délits en la matière (A) et de comprendre pourquoi la Cour de cassation s’est ensuite appuyée sur le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale (B).

A - L’application du principe de légalité des peines et des délits

Le principe de la légalités des peines et des délits est issu de la pensée de Beccaria au XVIII siècle. Ce principe qui prend naissance dans son ouvrage «  des délits et des peines » paru en 1764 est devenu le fondement de notre droit pénal depuis cette époque. Le principe de la légalité des peines et des délits, aujourd’hui consacré à l’article 111-2 et à l’article 111-3 du Code pénal, impose au législateur d’indiquer quels sont les comportements jugés délinquant, et non simplement déviants, et devant donc tomber sous le coup d’une sanction pénale. Ainsi tout comportement qui n’est pas jugé comme délinquant par la loi pénale ne peut faire l’objet d’incrimination ou de sanction pénale. Ce principe est consacré également consacré dans les plus hautes normes de notre ordonnancement juridique, il est ainsi consacré à l’article 8 de la DDHC de 1789, à l’article 7 de la CEDH et enfin à l’article 15 du Pacte de l’ONU. C’est donc un principe à valeur constitutionnel et internationalement reconnu. La Cour de cassation n’a pas d’autre choix dans l’espèce qui nous intéresse que de constater que le Code pénal ne prévoit aucune incrimination susceptible d’être appliqué à l’auteur d’un homicide involontaire sur un embryon. Ainsi, elle ne peut que rejeter le pourvoi qui lui est soumis puisque le fait de provoquer la mort d’un embryon in utero n’est ni un crime, ni un délit en France aujourd’hui.

B - L’application du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale

Les plaignants ayant bien compris que le principe de légalité des peines et des délits ne leur permettaient pas de pouvoir faire condamner le meurtrier de leur enfant attaquèrent sur un fondement différent, celui de l’interprétation de l’article 221-6 du Code pénal. En effet, l’article 221-6 du Code pénal incrimine le fait de « causer la mort d’autrui », l’article ne précise pas si autrui est une personne ou un être humain. On pourrait donc être tenté d’appliquer l’adage «  Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer » et d’en conclure que l’article 221-6 à vocation à s’appliquer aux personnes et à l’être humain plus généralement. N’est-ce pas d’ailleurs la vocation du droit que de protéger l’être humain ? Le problème est que la Cour de cassation n’a pas entendu raisonner ainsi et on ne peut que le regretter. Elle fait, en fait, application du principe posé à l’article 111-4 du Code pénal selon lequel la loi pénale est d’interprétation stricte. Ainsi, la loi pénale ne doit pas être interprétée ni en-deçà de ce qu’elle prévoit, ni au-delà de ce qu’elle prévoit. Le juge doit interpréter la loi, l’article 4 du Code civil lui donne obligation, mais il doit l’interpréter uniquement pour ce qu’elle prévoit. Ainsi la Cour de cassation considère que l’article 221-6 du Code pénal n’a vocation à s’appliquer qu’aux personnes, car seul les personnes bénéficient de la protection du droit. Dans sa décision du 30 juin 1999, puis dans celle 25 juin 2002, c’est ce qu’elle exprime clairement.


II - Une position jurisprudentielle critiquée et critiquable


En effet, que ce soit dans l’opinion publique ou au sein même de la doctrine, les décisions de la Cour de cassation en la matière sont fortement critiquées. Néanmoins ce propos doit être tempéré, car au sein de la doctrine, une partie de celle-ci approuve le raisonnement suivi par la Cour de cassation. Essayons donc d’y voir plus clair et de comprendre les conséquences d’une telle position et les solutions possibles.

A - Le raisonnement erroné de la Cour de cassation

En effet, selon Jean Pradel considère que les dispositions de l’article 221-6 du Code pénal ont vocation à s’appliquer à l’embryon puisque le texte incrimine le fait de causer la mort d’autrui. Le texte ne précise pas qu’il s’agit d’une personne. Ainsi selon Jean Pradel, la Cour de cassation viole justement l’article 111-4 du Code pénal en interprétant en-deçà les dispositions de l’article 221-6. En effet, dans ce texte, la volonté du législateur est-elle de protéger l’être humain où les personnes ? Si l’on a une vue d’ensemble du droit français et européen, le législateur se veut protecteur du droit à la vie, c’est d’ailleurs sur ce fondement que l’on interdit l’euthanasie dans ce pays, donc, n’est-il pas aberrant de penser, comme le fait la Cour de cassation, que ce même législateur aurait introduit par la loi du 10 juillet 2000, un article 221-6 dans lequel il n’aurait entendu protéger que les personnes et ainsi négliger la protection de l’être humain au commencement de sa vie. Si l’on s’en tient au raisonnement de la Cour de cassation, on pourrait dire que le droit français autorise la mise à mort de l’être humain dès le commencement de sa vie en toute impunité et condamne sévèrement le fait d’avoir voulu abréger les souffrances d’une personne à qui il ne restait quelques semaines à vivre ! Cherchez la cohérence …

B - Les conséquences de la position jurisprudentielle consternante de la Cour de cassation

Les conséquences sont simples : provoquer le décès d’un embryon n’est pas un crime, ni un délit. A l’heure où, dans ce pays, on n’a de cesse de vouloir faire comprendre au citoyen lambda qu’il doit se comporter de manière responsable, civilisée et respectueuse du droit, que pensez de la position de la Cour de cassation qui semble dire haut et fort que la vie d’un être humain in utero n’a aucune valeur. Le raisonnement de la Cour de cassation a des conséquences extrêmement néfaste pour le droit en général. En effet celui-ci ne bénéficie pas d’une très bonne presse, la population française a bien souvent l’impression que le droit se veut protecteur du criminel, du délinquant et ce type de décision ne peut qu’accroître ce sentiment. Que devient une société qui ne comprend plus son droit ? D’autant que la Cour de cassation elle-même se trouve prise au piège par son raisonnement, et il suffit de lire les commentaires vitriolés qu’a suscité l’arrêt du 3 décembre 2003 dans lequel la Cour de cassation a retenu l’homicide involontaire contre un individu qui a provoqué un accident à la suite duquel des médecins, en opérant par voie de césarienne, ont extrait l’embryon qui est décédé des suites du choc une heure après sa naissance. La Cour de cassation retient l’homicide involontaire au motif que l’embryon étant né, il était devenu une personne. Il est tout de même étrange de constater que la Cour de cassation se garde bien de nous expliquer comment une personne peut se prévaloir d’un préjudice qui a eu lieu alors qu’elle n’existait pas …

Il paraît évident aujourd’hui que cette situation grotesque et ridicule, qui est une insulte au droit pénal français, ne peut perdurer. La réforme législative tant attendu semble avoir été rangée au placard après la levée de bouclier qu’a provoqué l’amendement Garraud, que personne semble-t-il dans ce pays n’a d’ailleurs réellement compris. Il semble que seul la Cour de cassation ait aujourd’hui le pouvoir de rendre justice à l’article 221-6 du Code pénal. En continuant à négliger l’aspect pédagogique du droit, et particulièrement du droit pénal sur les individus, c’est la société que l’on met en danger. Que dire également du droit des victimes superbement ignoré et bafoué ? Que dire à ceux qui voudrait obtenir le droit à mourir dans la dignité ? On leur refuse ce droit au motif que la France se veut protectrice du droit à la vie, un motif qui fait bien pâle figure lorsqu’on lit les décisions honteuses de la Cour de cassation.

Dernière mise à jour : 2004-05-30